L’été dernier j’ai observé mes enfants jouer aux LEGO à 4 avec des amies. Ils ont passé des heures à inventer des histoires. Le truc, c’est que comme nous étions en vacances ils ne disposaient que d’un nombre limité de briques au lieu d’avoir à leur disposition leur immense bac à LEGO. Résultat : au lieu de perdre des heures à chercher la bonne pièce et à passer du temps à construire sans objectif et sans fin claire, ils ont utilisé le peu de pièces à leur disposition pour raconter des histoires et jouer ensemble. Autrement dit, la contrainte du faible nombre de pièces disponibles les a naturellement poussés à faire preuve de plus de créativité, à agir et finalement mieux utiliser les LEGO !

Ce qui vaut pour un groupe d’enfants vaut aussi pour un groupe d’adultes. Sans contraintes, notre esprit est comme perdu au milieu d’un océan de possibilités. Et lorsque notre cerveau fait face à trop de choix, il se produit un phénomène psychologique connu : il renonce à choisir ; autrement dit, il se bloque.

Que se passe-t-il ensuite ? La discussion remplace l’action. Les participants passent leur temps à échanger pendant tout le temps disponible, et 5 minutes avant la fin se rendent compte qu’ils n’ont pas avancé. Sous la contrainte du temps devenue bien réelle, ils se dépêchent de formaliser quelque chose. Pour réellement libérer l’intelligence collective et la créativité d’un groupe, il faut leur imposer les bonnes contraintes.

La société Nest est un bon exemple de ce qui se passe lorsqu’il n’y a pas de contraintes ; rachetée par Google, cette startup qui avait lancé un thermostat intelligent1 a bénéficié d’un budget “quasi illimité” pendant plusieurs années. Résultat ? Presque aucun nouveau produit n’est sorti, des décisions très stupides ont été prises par les dirigeants, et les problèmes des produits existants n’ont pas été corrigés.

À l’inverse, beaucoup de bons produits ont eu des contraintes fortes dès le départ. Par exemple les concepteurs du TGV ont toujours fait très attention de minimiser le nombre de composants complètement nouveaux pour limiter les problèmes potentiels. La taille du Palm Pilot a été définie comme une contrainte dès le départ. L’équipe de développement du Macintosh était incroyablement petite pour un projet de cette envergure ; même aujourd’hui le budget du département R&D d’Apple reste bien faible2 par rapport à ses concurrents directs.

Autre exemple : lors de réunions, il est facile de s’enthousiasmer et d’avoir plein de bonnes idées. Faisons trois sites web ! On pourrait aussi faire des podcasts toutes les semaines ! Et aussi des vidéos sur Youtube ! Alors que dans la réalité ces personnes n’arrivent même pas à écrire un article court chaque mois. Avoir des idées est important, mais savoir en éliminer en faisant des choix contraignants l’est encore plus.

Ce phénomène n’épargne pas les startups. Beaucoup d’entre elles s’imaginent avoir touché les jackpot après avoir levé 1 million (d’Euros, de Dollars, de Patates, ça n’a pas d’importance). Tout d’un coup, un grand nombre de contraintes disparaissent. Elles embauchent à tour de bras, lancent des tas d’actions au retour sur investissement incertain, et 1 an plus tard elles se retrouvent de nouveau en manque de liquidités, mais avec des frais fixes qui ont explosé ! Certaines startups très connues que le grand public prend pour des succès phénoménaux sont en réalité dans une situation toujours précaire.

Aussi si vous créez un produit, un service, une startup, un nouveau projet, une question essentielle à se poser est : « quelles sont les bonnes contraintes qui vont nous aider à atteindre l’objectif ? » Les bonnes contraintes vont focaliser la startup, l’aider à trouver sa voie et à avancer plus vite et dans la bonne direction.


  1. réfléchissez trois fois avant d’acheter un produit qui se vante d’être capable d’apprendre tout seul le comportement désiré de l’utilisateur. ↩︎

  2. le budget R&D d’Apple a toujours été historiquement faible par rapport à la moyenne de l’industrie, même s’il a substatiellement augmenté ces dernières années. ↩︎