Suite à mon billet sur le problème systémique de l’écosystème numérique français, je suis sûr que de nombreuses personnes restent persuadées que j’exagère les problèmes causés par mes trois facteurs (dévalorisation des profils compétents, appropriation du pouvoir par une caste sans compétence, perturbations politiques). J’ai donc décidé d’illustrer à quel point ces trois facteurs, regroupés, peuvent être destructeurs.

Mon premier exemple s’appuiera sur cet article, en anglais, qui donne sont point de vue sur comment Boeing en est arrivé au fiasco du 737 Max. Je dis point de vue, car je pense que l’article n’est pas complètement objectif — mon article ne l’était pas non plus, c’est vrai que j’ai chargé la barque des grandes écoles et qu’elles ne peuvent pas être toutes mises dans le même panier — il reste cependant très intéressant.

L’article cite la fusion entre McDonnell Douglas et Boeing dans les années 90 comme une des raisons majeures du problème. Pourquoi ? Parce que suite à cette fusion :

  • La culture de Boeing est passée de « centrée sur l’ingénierie » à « centrée sur le comptage des haricots ». Autrement dit les personnes qui concevaient les produits ont été reléguées à des rôles subalternes dans lesquelles elles n’avaient plus le dernier mot sur les décisions importantes, comme la sécurité de l’avion.
  • Les rôles de dirigeants ont été accaparés par les financiers. Ainsi, en 2005, Boeing engagea James McNerney, son premier CEO sans expérience en ingénierie dans l’aviation civile. Celui-ci avait comme expériences précédentes Procter & Gamble, McKinsey, et General Electric. Ce fut lui qui prit la décision de lancer le plus vite possible le 737 Max pour concurrencer l’A320 Neo d’Airbus.
  • La culture de l’ingérence politique venant des appels d’offres militaires s’est immiscée dans la partie aéronautique civile de Boeing. Ces appels d’offres sont complexes, bourrés de contradictions liées aux intérêts divergents des différents corps d’armes et demandant des niveaux de performances totalement irréalistes. Tout cela mène à des programmes dont les coûts explosent, aux réalisations finales pleines de compromis.

Si vous regardez ces trois éléments, ce sont les mêmes problèmes que ceux que j’ai cités pour l’écosystème numérique français : confinement des personnes compétentes à des rôles subalternes, appropriation des rôles de dirigeants par des personnes sans compétences sur le produit et ingérence politique sans la vision nécessaire.

Malheureusement, dans le cas de l’aviation civile, les conséquences d’une telle culture sont beaucoup plus graves. Quelque part, heureusement, dans le numérique, les seules conséquences sont des services inutilisables ou peu compétitifs. Et quelques milliards d’Euros partis en fumée. Enfin non. L’argent est bien quelque part. C’est le résultat qui est parti en fumée.