Je n’ai pas de compte Facebook. Moins parce que je me soucie de la confidentialité de ce que je pourrais y publier — il suffit de voir les inepties que je poste sur Twitter — que parce que je ne veux pas perdre de temps dessus.

Pourtant, si j’écris sur le scandale Facebook, maintenant que les journaux commencent déjà à l’oublier, c’est parce que je veux montrer que ce scandale n’affectera presque pas Facebook. Parce que Facebook n’est qu’un des trois acteurs qui a rendu ce scandale possible, les deux autres étant (1) les sites web et (2) nous. Parce que nous avons la possibilité d’arrêter Facebook aujourd’hui mais que nous ne ferons rien, ni les sites web, ni nous. Car en réalité, ce n’est pas Facebook qui s’en fout. C’est nous.

Prenons les sites web et leur responsabilité dans le suivi des internautes, et en particulier les médias qui ont couvert le scandale Facebook avec des titres outragés, comme s’ils avaient découvert que l’eau mouille. Ils savent depuis longtemps que Facebook suit tous les internautes sur le web. Tout comme Google, Twitter, Criteo et plein d’autres sociétés dont c’est le cœur de métier. Les journalistes qui « découvrent » le scandale sont soit niais, soit incompétents au point de ne même pas comprendre le fonctionnement de leurs propres sites d’information. Je m’explique. Lorsque vous visitez lemonde.fr, lefigaro.fr, liberation.fr, washingtonpost.com, theguardian.com, bbc.co.uk ou n’importe quel autre site d’information, ces sites ont sur leurs pages un bouton « Facebook ». Ces boutons chargent un script qui permet à ces sociétés de suivre de manière très précise vos visites sur le web1. Les personnes qui ont ajouté ces boutons le savent très bien. Si elles ne font rien, c’est parce qu’enlever les boutons revient à perdre de la visibilité. Perdre de la visibilité revient à perdre des revenus, donc à disparaître petit à petit. La survie des journalistes dépend aujourd’hui de la bonne volonté des géants du web, et c’est pour cela qu’ils ne font rien. Et au fond, ils s’en foutent.

Et nous et le respect de notre vie privée ? Cela fait des années que Facebook explique que les données qui sont postées sur son réseau lui appartiennent, et sont exploitables par Facebook2. C’est son business model depuis le début. Tout le monde le sait. Pourtant tout le monde a choisi de l’ignorer pour bénéficier d’un service gratuit et performant. Nous pourrions stopper Facebook dès aujourd’hui, mais nous ne le faisons pas. Parce que, au fond, on s’en fout.

Facebook n’a pas à s’en faire suite au scandale. Rien ne changera. Nous avons, collectivement, le pouvoir d’arrêter Facebook. Mais nous n’allons rien faire. Parce qu’on s’en fout.


  1. Certains sites ont des boutons Facebook qui sont de simples liens. Dans ce cas ils ne permettent pas à Facebook de vous suivre. Cependant je peux vous garantir que tous les grands sites d’information utilisent les boutons avec script de suivi des internautes. ↩︎

  2. C’est vrai que Mark Zuckerberg a fait un peu marche arrière sur ce point lors de son passage devant le Congrès américain. Pourtant par le passé Mark Zuckerberg a très clairement défendu le point de vue selon lequel le concept de données privées était périmé. ↩︎