Le gouvernement lance régulièrement des initiatives pour former les jeunes aux métiers de demain. C’est bien, mais l’éducation ne résoudra pas le problème français de compétitivité dans le secteur des hautes technologies. Pourquoi ? Voici mon point de vue.

Tout d’abord, ce n’est pas en enseignant trois lignes de code à des étudiants d’école de commerce qu’on fera l’avenir du pays. Ben non, parce que la programmation, en grande école, c’est comme la flûte au collège : (1) on l’enseigne, mais ça a peu de poids dans la note finale et (2) c’est vraiment emmerdant parce qu’impossible de masquer son niveau réel derrière du par cœur. La musique, pour bien en jouer, il ne faut pas aller au collège. Il faut être passionné, doué et travailler dur. La programmation c’est pareil, il faut être passionné, doué et travailler dur. Penser que tout le monde doit savoir programmer, c’est comme penser que tout le monde doit savoir jouer de la flûte. Ça va faire des millions de très, très mauvais programmeurs.

Mais de toute façon, ça n’a pas d’importance. Le véritable problème français qui empêche l’émergence de leaders technologiques n’est pas un problème de formation, il est systémique et tient principalement en trois points :

  • Le manque total de valorisation et de reconnaissance des compétences techniques.
  • Le verrouillage des postes à responsabilité par le système de caste des grandes écoles françaises.
  • L’État français qui s’imagine stratège numérique, mais ne fait que courir après le dernier buzzword comme Médor après la balle sur la plage.

Si vous avez déjà travaillé dans une SSII française ou dans une DSI, vous avez dû remarquer à quel point les développeurs et les personnes « techniques » (autrement dit les personnes compétentes) sont mal considérés. Au cours de ma carrière précédente, j’ai rencontré un nombre invraisemblable d’Associés, Directeurs de SSII et de Directeurs des Systèmes d’Information qui ne connaissaient strictement rien à l’informatique. Quand je dis rien, c’est à prendre au sens propre, au premier degré : elles ne connaissaient vraiment rien. Elles avaient pour elle le CV avec l’école qui va bien. Malheureusement, c’est bien joli de savoir calculer le ROI ou le « break-even » de projets merveilleux sur papier, mais lorsqu’on n’y comprend rien, les chiffres en perdent toute signification réelle et valent moins que le papier sur lequel ils ont été imprimés. En France, tout est verrouillé par le système de castes qui empêche les personnes passionnées, douées et visionnaires de s’épanouir.

Ce problème touche aussi les investisseurs. Sans véritable connaissance des technologies, ils investissent dans les derniers mots à la mode plutôt que de prendre le temps d’évaluer le potentiel réel d’une startup. Encore une fois, je n’exagère rien. Ainsi, il y a encore un ou deux ans, ils ne voulaient investir que dans la Blockchain et l’intelligence artificielle. S’ils avaient pris le temps de comprendre réellement les principes de la Blockchain, ils se seraient rendu compte des cas très limités dans lesquels cette technologie est réellement meilleure qu’un système centralisé (ce n’est pas un hasard si la seule utilisation à grande échelle actuelle reste les cryptomonnaies). S’ils avaient pris le temps de réellement comprendre ce que les startups recouvrent avec le terme intelligence artificielle, ils se seraient rendu compte, encore une fois, des énormes limitations des technologies existantes, aussi impressionnantes soient-elles sur des problèmes précis.

Le gouvernement est dans le même bateau. Aujourd’hui, parce que le mot intelligence artificielle est à la mode, il veut en pousser le développement. Mais si ce mot est à la mode aujourd’hui, c’est que c’est déjà trop tard. Hier c’était le Cloud. Demain, ce sera encore autre chose. Le gouvernement est beaucoup trop lent pour anticiper sur les tendances futures. Il ferait mieux de corriger les problèmes systémiques pour favoriser l’émergence d’acteurs privés beaucoup plus dynamiques et compétents (autrement dit : pas en donnant des contrats à des boîtes avec des noms connus qui en font du boudin de cloud souverain). Quant aux programmes du gouvernement pour favoriser le développement des startups technologiques, c’est bien. Mais encore une fois, une personne intelligente ne va pas regarder les paillettes d’un stand au CES. Il va regarder le retour sur investissement. Celui-ci est-il positif ou pas ? En l’absence de chiffre, je ne me prononcerai pas.

Alors, vous voulez que la France devienne réellement un pays à la pointe de la technologie ? Laissez les personnes compétentes techniquement et avec une vision prendre des postes de dirigeant et occuper des responsabilités aux postes clés. Peu importe leur formation. Elles ne doivent pas être prises comme une simple composante de l’écosystème des startups numérique. Elles doivent être bien plus que cela. Elles doivent être le cerveau qui pense l’écosystème numérique et le cœur qui le fait battre. Tout l’écosystème doit être pensé, construit et animé non pas pour assurer l’image de la France, d’un ministre ou de l’école qu’on a faite, mais pour assurer la réussite de ces personnes compétentes. Tout comme Steve Jobs, Larry Page et Sergey Brin ont été aidés à un moment de leur carrière, l’écosystème doit soutenir les personnes compétentes sur le cœur de métier avec des personnes ayant les compétences qui leur manquent, mais surtout pas les reléguer à des postes subalternes auxquels elles auront à subir des décisions qui vont perturber, voire saboter, le bon développement de la startup.

La meilleure preuve de ce que j’avance se situe aux États-Unis. Il suffit de regarder le profil des personnes ayant créé des entreprises numériques. Je n’en prends que trois, mais c’est valable pour pratiquement toutes les licornes actuelles :

  • Steve Jobs : pas de formation particulière. Ah si, il a assisté à quelques cours de calligraphie. Mais passionné, doué, visionnaire et travailleur acharné.
  • Bill Gates : pas de formation particulière. Mais passionné, doué, visionnaire et travailleur acharné.
  • Larry Ellison : pas de formation particulière. Il a même déclaré « maintenant que vous avez un MBA, vous ne réussirez jamais aussi bien que moi ». Mais passionné, doué, visionnaire et travailleur acharné.

Toutes ces personnes avaient l’intelligence nécessaire pour faire une grande école à la française. Mais aucune d’entre elles ne s’y serait épanouie. De fait, les grandes écoles tuent le potentiel de ces personnes. En France, elles auraient été enfermées dans des rôles subalternes dans des SSII. La différence, c’est que le système, aux États-Unis, permet de faire réussir ces personnes. Pas systématiquement bien sûr, cela reste une jungle. Mais les investisseurs américains ont compris l’essentiel : pour s’enrichir, il ne faut pas investir dans une équipe en fonction du nom de l’école sur les cartes de visite, mais en fonction de son niveau de compétence et de potentiel sur le cœur de métier.